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Du Léman au Cap Nord: 5'800 km en kayak de mer

(en cours)
Et si l'on reprenait la route. Une route différente avec pour seule ligne blanche l'écume et la neige ? Et si l'on reprenait la route non pas que pour nous, mais pour une raison plus grande transcendant le simple fait de voyager ? 5'800km en kayak de mer pour rejoindre le cap Nord dont 600km de marche, en hiver, en tractant nos bateaux à travers la mythique Laponie. Cap Kayak est la réponse à nos envies, nos besoins, une nouvelle aventure en faveur des enfants atteints d'un cancer.

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kayak de mer / randonnée/trek
Quand : 12/03/22
Durée : 880 jours
Distance globale : 4630km
Dénivelées : +754m / -1126m
Alti min/max : 0m/887m
Carnet publié par Chasseurs d horizon le 27 oct. 2023
modifié le 05 nov. 2023
Mobilité douce
du pas de la porte au pas de la porte
Précisions : ou presque. Partis de la maison avec nos kayaks et baskets, nous avons laissé toutes les portes ouvertes pour le trajet du retour... Mais où débute le retour quand un voyage n'a pas de fin ?
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Vue d'ensemble

Le topo : 4628 km de kayak de mer. Arriver avant l'hiver. (mise à jour : 27 oct. 2023)

Distance section : 997km
Dénivelées section : +9m / -9m
Section Alti min/max : 0m/9m

Description :

Le gros temps s’installe, faisant sombrer l'été dans un automne précoce. Notre planning est ballotté à l’instar de nos kayaks en mer. Profiter des heures où le vent semble nous avoir oubliés, allonger les temps de navigation alors que déjà les journées se raccourcissent. 4'628 kilomètres, mais encore tellement... tant mieux, nous l'aimons tant cette vie d'incertitudes, de simplicité et de rencontres.

Milieu traversé :

Environnement : [mer]

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Le compte-rendu : 4628 km de kayak de mer. Arriver avant l'hiver. (mise à jour : 27 oct. 2023)


DE BILDÖ À AGÖN - SERPENTS, FRONTIÈRE ET CYANOBACTÉRIES - 20.06.2023

Il y a des signes qui ne trompent pas, nous ne rajeunissons pas. « Are you a youtuber ? » fut la question qu'un jeune garçon posa à Olivier en voyant sa GoPro. Il y a une dizaine d'années de cela, les mêmes jeunes nous demandaient : « Are you on Facebook ? ». Les générations changent, les centres d'intérêts muent, et les questions évoluent au diapason. Pourtant, la lettre manuscrite, malgré la poussière qui aujourd'hui s'accumule sur la plume et l'encrier des pupitres d'école, sait émouvoir au-delà de l'âge. Mais ça, c'est une autre histoire, qui, sur l'échelle du temps limité à notre voyage, s'inscrira plus tard, dans la région de Hudiksvall...

Pourtant, la lettre manuscrite, malgré la poussière qui aujourd'hui s'accumule sur la plume et l'encrier des pupitres d'école, sait émouvoir au-delà de l'âge.
Pourtant, la lettre manuscrite, malgré la poussière qui aujourd'hui s'accumule sur la plume et l'encrier des pupitres d'école, sait émouvoir au-delà de l'âge.

Avant cela et plus au sud, notre épopée sur l'île binationale de Märket. Une île fino-suédoise qui vogue sur deux fuseaux horaires, où les montres connectées hésitent et nous font perdre la notion d'un temps rectiligne. Une île qui nous rassure quant au fait que malgré nos années de voyage, nos kilomètres parcourus, nous continuons à nous faire surprendre par l'imprévu. Un imprévu qui, de par son originalité, parvient à inventer encore et encore de nouveaux tours, dont nous n'aurions pu soupçonner l'existence. Car si nous pensions arriver sur une île déserte, nous avons en réalité été accueillis par une équipe de passionnés de phares qui nous feront vibrer au son de leurs connaissances, sur les ondes de leur propre marginalité et dans un décor sans pareil. Ou encore sur les hautes fréquences des radio-amateurs qui, précisément lorsque nous y sommes, prennent place sur cette toute petite île unique qui possède son propre indicatif. Alors que nous pensions y passer une nuit, nous y resterons trois, et j'y serais bien restée pour un bout de plus.... Une part de nous y demeurera, jusqu'à ce que le temps use les pigments et efface la marque de notre passage. Après avoir repeint la frontière fino-suédoise, l'unique frontière terrestre entre ces deux pays, nous avons, à la demande de la responsable, laissé notre signature, là où seul un oeil aiguisé en décèlera la présence. Le personnage symbole du logo Chasseurs d'horizon se trouve désormais entre deux roches. Un juste retour pour cette gravure rupestre que nous avions photographiée en Amérique du Sud.

Nous avons navigué parmi des dizaines et des dizaines de pingouins. S'il nous aura fallu un peu de temps pour trouver l'identité de ces oiseaux particuliers qui volent en cercle au-dessus de nous, avec une curiosité palpable et un air de maladresse, nous en sommes certains, il s'agit bel et bien de pingouins, les Alca Torda plus précisément, seul pingouin subsistant depuis la disparition du Grand Pingouin. Pourtant, les autochtones sont sceptiques - des pingouins, ici ?? - nous le voyons bien aux regards indulgents de ceux qui se gardent de rompre l'enthousiasme de deux étrangers.  Ou à la remise en question directe de ceux qui ont à coeur de rétablir la vérité. Après réflexion et analyse, nous trouvons la faille ; voilà un malentendu généré par une traduction maladroite, un abus de langage. Car si en français, « petit pingouin » est le nom vernaculaire pour désigner cette espèce d'oiseaux, en anglais, le mot « penguin » désigne ce que les francophones appellent « manchots », habitants de l'hémisphère sud. Alors si l'on concède que nos interlocuteurs entendent que nous nous enthousiasmons d'avoir navigué sous des colonies de manchots, force est d'admettre que leur étonnement est des plus légitimes.


S'il y a par contre un langage commun, c'est celui de l’effroi face aux serpents. D'autant plus lorsqu'ils se regroupent par dizaines. Toutefois, pour Olivier, ils seront la source d'un émerveillement unique, lui qui, des heures durant, se tiendra immobile auprès d'eux, pour leur devenir familier. Avec fascination et non sans une pointe de surprise, il les a vus se rassembler à l'arrivée de la pluie, surgissant de nulle part, donnant vie à ce que nous avions pris pour des racines de pins. Olivier en dénombrera quinze spécimens. La plupart étant des couleuvres, une pourtant se distingue et se révèle être une vipère. Au-delà de leurs différences, les serpents se côtoient intimement, se chevauchent, entrent et sortent de leurs nids communs, ondulant souplement dans une danse quasi hypnotique. Non loin de cet entretien improvisé avec les reptiles, dans la réserve naturelle de Kråkön-Agön, vit une colonie de phoques gris. Devenus familiers à leur complainte depuis notre rencontre avec la colonie de Märket, nous les repérons facilement. Mais cette fois-ci, nous ne pouvons les observer qu'aux jumelles, étant séparés d'eux par une ligne invisible, tracée à la règle sur une carte papier, qui interdit l'accès à leur territoire pour les préserver. Malheureusement, d'autres nuisances que celle de la curiosité des kayakistes ou navigateurs tuent à petit feu ces animaux. « Ils meurent de faim » nous témoigne un vieil homme dans le village de pêcheurs d'Agön. Les bateaux de pêche industrielle ratissent les eaux et épuisent la Baltique, délaissant les phoques devant une assiette vide.


Sans transition subtile ni délicatesse, je glisse à nos assiettes, qui elles non plus ne se garnissent pas de poisson mais se voient évoluer au gré des saisons, au fil de la végétation florissante et de notre curiosité inconventionnelle. Mais cuisiner en pleine nature n'est pas si simple et nous ne cessons d'apprendre. Alors évoluant dans les archipels, loin des lieux de réapprovisionnement, nous avons commencé à utiliser l'eau de la Baltique pour cuire nos aliments. Une eau relativement pauvre en sel et de propreté acceptable, elle nous a permis d'augmenter notre durée d'autonomie. Et puis, sur l'île de Märket, nous avons discuté avec un garde côte finlandais, qui nous a mis en garde contre cette pratique, la Baltique pouvant contenir une quantité de cyanobactéries suffisante pour être nuisible si consommée. Autant dire que dès lors, nous avons adapté notre comportement et n'utilisons l'eau marine que pour rincer notre vaisselle. Cuisiner sur un feu de bois ne se fait pas n'importe où, ni n'importe quand d'ailleurs. Soucieux de limiter notre impact environnemental, nous choisissons avec soin l'emplacement de nos foyers. Dans un petit port côtier, nous nous arrêtons devant un panneau informatif. Nous y apprenons que faire un feu sur les grandes pierres plates et lisses des côtes est interdit, celles-ci éclatant sous l'effet de la chaleur. Ainsi nos pratiques se modifient au rythme de l'évolution de nos connaissances. Pour l'heure, nous avons remisé notre réchaud à bois tout comme notre fer à croque-monsieur, les feux en nature étant interdits en raison de la sécheresse. #Aline


DE AGÖN À HUDIKSVALL - UNE BOUTEILLE À LA MER - 30.06.2023
 
Ortie,s ciboulette, dent-de-lion, violettes odorantes, origan ou pensées sauvages, à chaque île ses trésors. Et c'est parmi les îles de la région de Söderhamn que nous en avons trouvé un bien particulier. Une bouteille et un morceau de papier roulé à l'intérieur. Le sel aura sans doute cristallisé dans les interstices du pas-de-vis, car de la force il en aura fallu pout parvenir à accéder au message. Le coeur vibrant, je lis les quelques lignes de suédois : «Bonjour à toi qui a trouvé mon message. Ecris-moi une lettre, et je serai très contente.». Une date : 2008. Une adresse : Gävle. Un nom : Majken. Quinze années ont passé depuis que ces mots ont été couchés sur un papier préservé par la bouteille mais qui maintenant s'étiole. Tant de choses ont pu se passer depuis ; un changement d'adresse n'est pas improbable. Alors après quelques recherches et recoupements d'informations, je retrouve trace de l'auteure présumée de la lettre, qui, à l'époque, avait trois ans. Inutile d'être graphologue pour en déduire que la trace écrite est assurément le fruit de sa maman. La famille a en effet déménagé et habite actuellement à Hudiksvall, une ville au bord de la mer et sur notre route. Un coup d'oeil plus précis à la carte et nous constatons que leur maison est située à côté du port. Alors plutôt que d'envoyer une lettre à Majken, nous décidons d'aller lui porter le message en personne, lorsque nous atteindrons la ville. Ce que nous avons fait, quelques semaines plus tard. Nous toquons à la porte d'une vielle maison dans l'ancien quartier des pêcheurs. Personne. Nous repassons quatre heures plus tard et au moment d'abandonner, la porte s'ouvre sur une jeune fille en linge de bain. Majken. Une chance de la trouver car elle n'est passée chez elle que le temps d'une douche, la famille vivant ces temps dans leur maison d'été. Prise entre l'émotion et l'incongru de la situation, celle de se retrouver en tenue inhabituelle face à deux inconnus, Majken finit par opter pour la solution d'aller enfiler rapidement un vêtement. Si bien sûr elle ne se rappelle pas avoir participé à la mise à la mer de la bouteille, elle n'en n'est pas moins émue de recevoir la lettre. Quelques heures plus tard, elle nous met en contact avec sa maman, Eva, qui, touchée par le rebondissement d'une histoire qu'elle avait classée sans suite depuis le temps, souhaite nous offrir un pot de miel en remerciement. Eva est apicultrice et nous la rencontrons le jour suivant, alors qu'elle donne un cours de beewax wrap (emballage réutilisable fait avec de la cire d'abeille). Qui sait, un jour, peut-être cette histoire nous emmènera-t-elle vers des horizons faits d'abeilles, de ruches et de savoir-faire millénaire ?


La région de Hudiksvall restera pour nous un condensé de rencontres, de rebondissements et d'imprévus heureux. A Iggesund, nous retrouvons Diane, ma soeur, venue en Suède depuis le Canada pour une conférence à l'université de Göteborg. Quelques heures de train plus tard, et la voilà à partager notre vie de vagabonds six jours durant. Une itinérance adaptée puisque nous ne pouvons kayaker à trois. Diane voguera avec Eir Aurora et pour ma part, je troque ma pagaie contre mes baskets rejoignant les lieux de bivouacs par la voie terrestre. Principalement du moins, car je bénéficierai de quelques transports atypiques : Olivier qui joue les taxis avec son biplace pour les tronçons maritimes obligés, Rolf qui m'emmène à bord de son bateau pour rejoindre la ville, ou Rolf encore, qui me véhicule en voiture jusqu'au lieu de bivouac suivant. Ainsi, au fil des discussions, des partages d'expériences, des nuits sous tente ou des repas improvisés, nous rejoignons la ville de Hudiksvall, où Diane prend le train du retour.

Au port de la ville, nous sommes accueillis par Gunnar et Margareta, un couple de septuagénaires rencontrés sur l'île de Storjungfrun.
Au port de la ville, nous sommes accueillis par Gunnar et Margareta, un couple de septuagénaires rencontrés sur l'île de Storjungfrun.
Au port de la ville, nous sommes accueillis par Gunnar et Margareta, un couple de septuagénaires rencontrés sur l'île de Storjungfrun. Ils nous emmènent pour une journée de découvertes culturelles, historiques, architecturales et géologiques à l'intérieur des terres. Une journée qui se termine chez eux, autour d'un bon repas et d'une douche chaude. Une escapade loin de la mer, une infidélité à la Baltique, rendue possible par la prévenance du couple. Car dans cet environnement urbain il nous fallait un lieu où planter la tente. Et s'éloigner de la côte implique de stocker notre matériel dans un lieu adapté. C'est donc dans le jardin de leur fils Thomas que nous montons notre campement, avec comme voisins deux lapins rondouillards. Et c'est sur sa place de parc que nous stockons la remorque sur laquelle Gunnar et Olivier ont installé confortablement nos bateaux.

Au petit matin du 30 juin, à l'heure de renouer avec notre itinérance et notre rythme habituel, un journaliste nous attend au port. A deux reprise le journal de Hudiksvall a été contacté pour des histoires impliquant deux kayakistes suisses... Une histoire de bouteille à la mer, une histoire de voyage itinérant pour soutenir une association…
 
Et à l'heure où nous reprenons la mer, la pluie elle aussi annonce son retour... #Aline

DE HUDIKSVALL À BARSVIKEN - A PIEDS JOINTS DANS LES FLAQUES DE L'AUTOMNE - 02.08.2023

Avec l'arrivée de juillet disparaît le mois de haute pression. Sous la pluie et les rafales de vent nous célébrons l'anniversaire d'Olivier, le premier du septième mois, installés au milieu de vastes champs de galets près de Hölick. Un mois plus tard, la situation n'a de différence que celle du lieu, une petite île au sud de Härnösand. Bloqués, par la pluie mais avant tout par les vents. Patience. Car nos déplacements sont intimement contraints par ces deux réalités. La pluie, plus par confort, le vent, par réelle sécurité. Le tout est de parvenir à considérer les chiffres pixelisés de notre écran 2D sans négliger l'analyse des quatre dimensions qui nous supportent. Jusqu'à présent, nous ne pouvons nous targuer d'avoir toujours pris la bonne décision. Mais Olivier a su adapter les navigations, même lorsque soumis à une mer en colère, malmenés par des vagues ourlées d'écumes. Et puis, en ce début du huitième mois, nous avons le loisir de laisser humblement les dieux gronder, les cieux s'endiabler. Nous n'avons qu'à bouquiner ! Mais une question bourgeonne : et si cela devait perdurer ? Si je n'ai peine à imaginer d'autres occupations que celle de lire lorsque notre malle littéraire sera épuisée, il est un fait irréductible : l'hiver ne nous attendra pas pour assiéger Luleå de son froid et figer sa mer... Mais pour l'heure, ce murmure n'a pas raison d'élever sa voix. Quelque 500 kilomètres nous séparent de notre lieu d'hivernage et octobre est encore loin.

Le 12 mars 2022, dans le jardin de l'Av. Ruchonnet 11 à Vevey, à l'occasion de notre café de départ, Rudy Gollut, dont l'entreprise est l'un des partenaires principaux de Cap Kayak, nous disait ceci : « J'ai informé mon frère que vous alliez passer près de chez eux ; la côte de boeuf est prête et vous attend. » Une année et demie plus tard, Christophe et Heidi Gollut viennent nous chercher dans un petit port au nord de Hudiksvall et nous emmènent chez eux, à Jättendal, où, depuis décembre 2021, ils font revivre le B&B et camping d'Älvstalodges.

D'une côte de boeuf nous avons délicieusement dérivé vers une soirée, une semaine, une deuxième semaine... A la question «Combien de temps pensez-vous rester ? », la réponse s'est rapidement co-construite. Nous ne sommes pas pressés ; Älvstalodges vit sa haute saison. Deux coups de main sont les bienvenus, un interlude où l'on troque kayak, tente et flocons d'avoine contre, douche chaude, lit douillet, repas gastronomiques et discussions francophones également. Les journées sont d'une intensité surprenante, car à la fois elles requièrent de l'énergie et en donnent. Les heures défilent sans que l'on n'y prenne garde et le soir arrive si discrètement que rares sont les jours où l'on s'attable avant 19h30. Aux délices des papilles et à chaque repas se joignent les saveurs du partage, de l'humour, de l'amitié, de la curiosité réciproque des expériences de vie. Cuisine, intendance, construction, jardinage... prendre part aux activités d'Älvstalodges, être accueillis dans les réflexions de développement, c'est en quelque sorte participer, certes de manière infime et éphémère, à un projet qui un jour nous a nous aussi animés. Et puis Christophe, en manager improvisé et enthousiaste, nous introduit auprès des clients avec qui nous poursuivons la discussion et partageons notre projet, notre manière de vivre. Sur la terrasse autour d'une tasse de café ou sur le pas de porte des douches, dans l'atmosphère chaleureuse et conviviale des lieux, les échanges sont pleins.


Comme pour nous distraire de ma nostalgie qui déjà s'installe après les premiers coups de pagaie, les surprises nous attendent au contour. Le premier soir de notre reprise d'itinérance, alors que nous accostons sur une plage de sable, non sans difficulté en raison des vagues qui s'y échouent, un homme vient proposer son aide. Puis il nous dit en anglais « Si vous voulez vous joindre à nous plus tard pour un verre de vin... » Finalement nous passerons la soirée avec ces trois familles austro-germaniques vivant près de Zürich, en vacances ici. Alors que je les remercie pour le repas, ils en font de même pour l'animation de la soirée. Le surlendemain, nous posons notre campement dans une région habitée et nul n'aurait pu prétendre ignorer que la portion de terrain où nous montons la tente fût privée. En fin d'après-midi un homme s'approche. Plutôt que de nous prier de lever le camp, il vient s'enquérir de notre besoin de nous ravitailler en eau. Déclinant avec soulagement son offre, il revient cinq minutes plus tard avec deux canettes de bière fraîches « A vous voir assis là, au soleil, il m'a semblé qu'elles seraient les bienvenues. » Et comment... mais le plus délicieux dans ces 33cl de liquide, c'est bien la situation inattendue et édifiante.


Le matin suivant, après quelques kilomètres, je salue trois personnes qui semblent nous observer depuis leur balcon. En retour à mon geste, trois bras s'animent, puis une voix « Vous êtes les Suisses ? » Perplexité « Oui... mais... comment... » Trop curieux pour en rester là et ne parvenant à communiquer à distance, nous nous retrouvons tous sur le ponton de la propriété. Samuel voyage lui aussi en kayak, mais avec un objectif tout autre : parcourir l'ensemble de la côte suédoise, challenge officiel appelé le « Blue Ribbon ». Il y a quelques jours, il a croisé Rick et Christa, deux Hollandais effectuant le même défi, où la distance moyenne quotidienne flirte avec les 40 km. Et Rick, nous l'avions rencontré en mai 2022, sur l'île de Texel dans la mer des Wadden, après la journée de notre voyage la plus mouvementée en termes de navigation et d'humeurs... Alors que nous entamons la discussion, Christina et Johan, chez qui nous nous trouvons alors, nous proposent un café, qui se transforme en un vrai petit-déjeuner, servi à même le kayak. Si nous les quittons sous un soleil franc, l'orage nous secoue peu après, alors que nous effectuons une traversée de huit kilomètres. De l'autre côté, en sécurité et soulagés de l'être, le constat est aussi limpide que l'eau est assombrie par les tourments, nous n'aurions pas dû nous lancer dans cette course. Car la force de l'orage et l'amplitude des vagues qui rapidement s'est élevée, auraient pu être pire.

Depuis, nous patientons dans la tente, que les vents se calment, que les averses cessent. Comment est-ce Dieu possible que des nuages puissent contenir autant d'humidité ? #Aline


DE BARSVIKEN À GERMANDÖN - SAISON AUX MULTIPLES VISAGES - 04.09.2023

Alors que je m'apprête à prendre ma plume et à me plonger dans le mois qui vient de s'achever, mon attention est distraite par une framboise. Fragile mais vive, elle se balance nonchalamment au bout de son pédoncule, à moitié cachée par les feuilles qui déjà se bordent d'ocre. Tiens, je pensais ces menus arbustes déjà passés dans un autre temps, avec leur allure dégarnie, presque rachitique. Mais à bien y regarder, quelques fruits résistent encore aux assauts des vents et des bêtes, et d'une plante à l'autre, je m'éloigne avec gourmandise de mon objectif initial. Et c'est là que mes yeux perçoivent ce qui déjà se trouvait tout autour de moi : des fruits d'un orange lumineux, grappés à une plante de sol dont la couleur vert tendre des feuilles me fait penser à l'olivier. Pourrait-ce être de l'argousier ? Ce sur quoi je m'en vais chercher mon guide des « plantes sauvages et comestibles ». Argousier : page 88. L'illustration correspond. « Pousse sur lieux secs, sablonneux ou graveleux. » Sablonneux, graveleux, absolument. Sec... ce n'est pas exactement l'adjectif que j'aurais employé pour définir notre environnement. Tout autour de moi, le sol est saturé d'eau, marcher en forêt relève plutôt du bain de pieds et depuis un jour nos habits encore humides de la dernière navigation tentent désespérément de sécher au vent. Il faut toutefois reconnaître que la météo d'hier fut tout à fait, et fort heureusement, unique. Alors que le début de journée était prometteur, le ciel a soudainement ouvert grand ses vannes et a déversé son réservoir sur nous, revenant à l'assaut à maintes reprises. En un temps record, ma jupe néoprène est devenue piscine extensible, démonstration théâtrale et instructive de ce que représente un volume de précipitations « L'argousier produit ses fruits en septembre-octobre ». Nous sommes le 4 septembre. Vérification des confusions possibles avec l'argousier : rien d'alarmant, passons donc au test gustatif. « Les argouses sont acidulées et pulpeuses. » Absolument. L'identification de la plante confirmée, mon arbre des possibles culinaires vient de se voir gratifié d'un nouveau rameau. Jusqu'à présent, myrtilles et champignons ont eu la part belle de nos récoltes quotidiennes. J'ai dû quelque peu calmer mes ardeurs fongiques, car séduite par chaque spécimen se présentant à moi, mes récoltes n'ont pas été suffisamment sélectives et c'est parfois un résultat gélatineux et guère avenant qui s'est retrouvé dans nos assiettes. Les myrtilles, quant à elles, je les ai vues grandir de semaine en semaine, jusqu'à atteindre une taille au diamètre admirable, puis à muter d'éclat et de vigueur, état annonciateur de la fin de la saison. Mais déjà les airelles assurent la transition vers la période hivernale.


Si la végétation témoigne du temps qui passe, il en est de même de la luminosité. Une nuit, sans crier gare, je m'aperçois qu'il fait sombre. Et puis quelque temps plus tard, je me surprends à admirer un ciel étoilé, réalisant que cela n'était plus arrivé depuis bien des mois. Tove Jansson, auteure finlandaise et créatrice des Moomins, écrivait dans son ouvrage « Le livre d'un été » : « Chaque année, les nuits s'assombrissent imperceptiblement. Un soir d'août, on sort de la maison pour faire une chose ou une autre, et on découvre soudain qu'il fait nuit noire. (...) Pas tout de suite, mais peu à peu en passant, les choses commencent à changer de place pour suivre le rythme des saisons. » Nos lampes frontales, remisées l'été dans le fond de nos sacoches, remontent à la surface, se glissent dans les poches intérieures de la tente, puis, un soir, se retrouvent sur nos têtes. Les pulls sont à nouveau enfilés pour compenser les fraîcheurs humides des journées. Les combinaisons étanches, quant à elles, restent dans leur étui et ce probablement jusqu'à la fin de la saison de kayak. Car nous voilà aux portes de Luleå. En réalité, nous aurions déjà pu y être, si ce n'est notre envie de rester, encore un peu, dans la tranquillité de la nature, dans le rythme de notre vie vagabonde. Il nous faut ce temps supplémentaire pour nous sentir prêts à embrasser la sédentarité, l'urbanité, un quotidien à la composition bien différente de l'actuelle. Alors nous avons fait le plein en eau et en nourriture et avons mis le cap sur les îles de l'archipel de Luleå.

Si nous sommes déjà si près de notre lieu d'hivernage, alors que notre planning initial avait été établi sur une arrivée courant octobre, ce n'est pas le fruit du hasard mais celui d'une adaptation à une réalité. Celle que les intempéries sont capables de nous clouer à terre plusieurs jours d'affilée. Au début du mois d'août, les vents se sont déchaînés. Alerte maximale, pointes à 90 km/h, cinq jours sans repos ni répit. A tel point que la masse d'eau de la Baltique s'est déportée en direction de la côte suédoise, provoquant une montée du niveau de la mer de 64 cm. Une fois l'assiègement de la dépression Hans terminé, les vents sont retombés, mais sur de courtes fenêtres, qu'il nous faut saisir quel que soit le moment de la journée. Réveil à 4h30 ou départ à 18h00, nous nous adaptons. Que nous réservera la météo les jours suivants ? Nul ne le sait. Alors de nos 15 kilomètres quotidiens habituels nous passons à 20, 25, 30. Cela pour avoir le choix qui aujourd'hui s'offre à nous : débarquer à Luleå ou passer du temps dans son archipel. Cela pour ne pas être confrontés à une évidence à laquelle la météo pourrait nous mener, celle de ne pas être capable d'atteindre notre objectif. #Aline


DE BARSVIKEN À GERMANDÖN - ARRIVÉE AUX PORTES DE LULEÅ - 04.09.2023

Ce nouveau rythme, celui que la météo nous contraint d'adopter (voir article précédent), n'a nullement entaché la beauté du voyage, bien au contraire. Retour sur ce mois d'août entre été et automne, entre rencontres imprévues et planifiées, entre réjouissance et appréhension de la fin d'une étape.

Début août, nous nous retrouvons bloqués sur l'île de Mjältön, le long de la Haute-Côte, en raison des vents tempétueux. Durant cinq jours, l'institut suédois de météorologie et d'hydrologie met en garde et déconseille à tous les petits bateaux de sortir en mer. Nous n'aurions pu rêver meilleur plan que celui de passer cette période en compagnie de Nisse, Ingrid, Olivia et Rasmus, venus nous rejoindre dans cette petite baie paradisiaque à bord de leur voilier. Ces retrouvailles figuraient pour moi parmi les high lights de notre voyage. Nous avions fait la connaissance de Nisse en 2018, lorsque nous avions acheté une propriété dans les forêts du Jämtland, Nisse étant alors notre plus proche voisin. Nos projets ont depuis lors changé, mais l'amitié a demeuré. La tempête laisse juste le temps à Nisse et Ingrid de nous emmener à bord de leur bateau visiter l'île voisine d'Ulvön. Déambulant le long du petit village portuaire, nous leur racontons l'histoire de Rick, un kayakiste hollandais rencontré l'année passée dans la mer des Wadden, qui aujourd'hui est en train de relever le défi de la « Blue ribbon », challenge qui consiste à pagayer sur l'entier de la côte suédoise en suivant quelques règles établies. Sur le chemin du retour au bateau, mon oeil est attiré vers la terrasse d'un hôtel, un je ne sais quoi a inconsciemment interpélé mon attention. Et là, nous nous dévisageons, le temps de remettre ensemble les pièces d'un puzzle improbable. Rick et son amie Christa se lèvent, tout aussi surpris que nous, et viennent nous serrer dans leurs bras. Vous êtes là !?

Avant que l'on se quitte, Nisse questionne « Quand nous reverrons-nous ? » La seule certitude est celle de souhaiter un jour se retrouver. Mais quand, où... l'avenir est le seul à en posséder la réponse.

« Quand nous reverrons-nous ? » La seule certitude est celle de souhaiter un jour se retrouver.
« Quand nous reverrons-nous ? » La seule certitude est celle de souhaiter un jour se retrouver.

Si les vents se sont suffisamment calmés pour nous permettre de reprendre la route, nos horaires de navigation se voient par contre modifiés pour s'adapter à ces fenêtres météorologiques. Pagayer dans un climat instable et à des horaires inhabituels nous offre des luminosités nouvelles, des ciels majestueux parfois traversés par des arcs-en-ciel féériques. Et puis l'armée s'y met et nous contraint elle aussi à adapter notre timing. Car nous devons traverser la région de Tåme, zone d'exercices de tirs aériens militaires. Et nous sommes précisément à une période d'entraînement. Nous écrivons donc au régiment pour demander l'autorisation de traverser le périmètre et obtenons leur feu vert pour un certain lundi matin.

Sur l'île de Trysunda, nous nous arrêtons sur une plage de sable où deux tentes occupent déjà fièrement les abords d'un shelter public dont le feu crépite. Fatigués par une navigation exigeante, nous hésitons : pique-niquer tranquillement à l'écart ou se faire social, aller saluer et s'installer autour du feu ? On se bouscule un peu et allons rejoindre la famille dont trois générations se retrouvent chaque année ici pour quelques jours de bivouac. Des retrouvailles dont l'activité principale consiste, à reprendre leurs dires, à manger. Certains d'entre eux parlent français, héritage d'une relation passée. La grand-maman m'explique comment reconnaître les chanterelles, dont un seau déborde. Apprentissage que je saurai mettre en pratique les semaines suivantes. Le lendemain, la famille nous initie à la préparation et dégustation du surströming, fameux mets suédois. Célèbre car l'odeur et le goût de ce hareng fermenté ne laissent personne indifférent... A Rosvick, c'est chez Eva et Pelle que nous débarquons, résultat d'un enchaînement de rencontres. Dans les environs de Hudiksvall nous faisions la connaissance de Rolf, lequel nous avait ensuite introduits auprès de son ami Pecka. Celui-ci nous avait dit alors « J'ai un ami à Rosvick, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Luleå, je l'ai contacté, vous y êtes les bienvenus ! »


Umeå, Skellefteå, Bureå, Piteå... Autant de villes repères qui nous permettent de fractionner notre dernière ligne droite jusqu'à Luleå. Villes ravitaillement également. 40 minutes, parfois 1 heure est le temps qu'il me faut pour rejoindre à pied les magasins. Des allers légers, des retours plus pénibles. Parfois un automobiliste me prend en stop. Au port de Bureå, au retour des courses, je rencontre la responsable qui, au fil de la discussion, nous offre la possibilité de rester gracieusement pour la nuit. Et surtout n'hésitez pas à utiliser les douches, le sauna et les BBQ ! A quand remontait la dernière douche ? Je ne m'en souviens plus mais me voir dans le miroir suffit à évaluer qu'il y a bien longtemps... Avec le basculement perceptible de la saison vers l'automne, s'installe une certaine humidité qui fait que rien ne sèche véritablement, que tout paraît moite, nous y compris. Le soir en s'enfilant dans les sacs de couchage on se sent collants, sales. Les textiles paraissent humides, le bois sec ne l'est plus et rend l'allumage des feux difficiles. Cette situation inévitablement influence le moral et l'état d'esprit pourrait bien pencher vers la réjouissance du changement que notre arrivée à Luleå promet.

Mais à l'heure où j'écris ce texte, je pourrais presque l'espérer à nouveau, cette situation inconfortable, où le plaisir du bivouac s'étiole, où la lassitude grignote l'excitation du changement quotidien de lieu d'attache... Car alors nous entamerions la transition vers la période d'hivernage avec détermination. Parce qu'après une bonne douche chaude, voilà que l'on se sent frais à nouveau, revigorés, parés pour un peu plus de cette vie-là, celle sur les routes. #Aline

Mais à l'heure où j'écris ce texte, je pourrais presque l'espérer à nouveau, cette situation inconfortable, où le plaisir du bivouac s'étiole, où la lassitude grignote l'excitation du changement quotidien de lieu d'attache...
Mais à l'heure où j'écris ce texte, je pourrais presque l'espérer à nouveau, cette situation inconfortable, où le plaisir du bivouac s'étiole, où la lassitude grignote l'excitation du changement quotidien de lieu d'attache...

QUAND L'UNITÉ N'EST PLUS CELLE QUE L'ON A CONNUE - 03.10.2023

Lorsque nos lunes côtoient quotidiennement canapés, chaises de bureau et sièges de train ou de voiture, le temps s'invite dans nos vies, sans tambour ni trompette, pour y grignoter notre oisiveté. Furtivement, il gagne nos poignets, nous menottant à son inflexible réalité, allant bien souvent jusqu'à fréquenter notre intimité, bien au chaud dans nos poches de pantalon. Siècle, année, mois, semaine, jour, heure, minute, seconde... Chronos prend des airs de Janus nous montrant tantôt sa grandeur, tantôt son empressement. Tyrannique, il contrôle nos vies du lever au coucher, puisque la première et la dernière chose que l'on regarde dans une journée bien remplie est son réveil. Il détrône même le sacré saint « Bonne nuit ! » de l'être aimé. De la maison à la gare 7 minutes. De Vevey à Lausanne 22 minutes. Quand as-tu rendez-vous avec Maurice ? Et non pas « où » ou « pourquoi ». Depuis combien de temps êtes-vous mariés ? Et non pas, par exemple, quelle est votre recette du bonheur ? Huit heures et demie de travail par jour stipule le contrat. Mais rien sur le rythme, les relations sociales ou la politique écologique de l'entreprise…

Lorsque nos postérieurs côtoient, non sans douleur, le siège de nos kayaks, le temps passe la main. Non pas que l'on en ait pléthore ou que par une philosophie excentrique nous lui faisons un pied de nez ; mais pour des raisons pratiques, il nous est devenu caduque. Le temps est approximatif et incertain ! Notre réalité est celle de la faiblesse, de ceux qui font en fonction, qui s'adaptent aux possibles. Dans nos voyages et d'autant plus dans celui-ci, rien n'est moins sûr que l'agenda, un jour de ravitaillement, une heure d'arrivée au lieu de bivouac. C'est le bulletin météo qui nous renseigne et non la montre. 25 kilomètres restent 25 kilomètres quelle que soit la force du vent. Mais 25 kilomètres peuvent prendre trois heures et demie comme deux jours. Alors oui, sans en prendre réellement conscience dans un premier temps, nous avons remplacé le temps par la distance. Et aujourd'hui, nous faisons la pause chocolat à 7 km, plantons la tente entre 15 et 25 km - en fonction du vent – et pouvons déjà vous dire que nous aurons 560 km de navigation en Norvège. Mais à quelle date nous arriverons... promis, on vous le dira quand on y sera ! #Olivier

Non pas que l'on en ait pléthore ou que par une philosophie excentrique nous lui faisons un pied de nez ; mais pour des raisons pratiques, il nous est devenu caduque.
Non pas que l'on en ait pléthore ou que par une philosophie excentrique nous lui faisons un pied de nez ; mais pour des raisons pratiques, il nous est devenu caduque.

DE GERMANDÖN À LULEÅ - TRANSITION - 06.10.2023

Nous passons en fin de compte une petite semaine dans l'archipel de Luleå, jusqu'à se sentir près à franchir le pas vers notre hivernage. L'archipel compte 1312 îles, c'est sur celle de Kluntarna que nous parquons nos kayaks pour quatre jours. Pelle, chez qui nous avions passé une nuit à Rosvik, nous avait dit qu'il s'y trouvait un sauna libre d'accès. En réalité, nous en découvrons trois. Dans un soucis d'analyse scientifique sur l'efficience thermique des volumes, nous les avons tous testés. Pour atteindre Kluntarna, nous avions dû franchir une nouvelle zone d'entraînement militaire. A la vue de deux avions opérant un douteux demi-tour alors au-dessus de nous, nous craignons d'avoir perturbé un exercice en cours. Alors lorsqu'un hélicoptère militaire tourne au-dessus de l'île de Kluntarna à plusieurs reprises le jour suivant, nous nous sentons comme deux fugitifs traqués. Et que dire lorsque c'est au tour d'un hélicoptère de la police de faire du stationnaire à quelques mètres pile au-dessus de nous... Soudain une lumière s'allume et éblouit notre attention : et si les balises s'étaient déclenchées involontairement ? Une histoire qui est déjà arrivée à d'autres. Par acquis de conscience, pour la libérer de ce doute qui la sature, nous nous empressons d'aller vérifier. Ouf. Ce n'est pas ça. La réelle raison de cette étrange chorégraphie aérienne, nous ne la saurons jamais.

Après Kluntarna, nous montons notre ultime campement sur l'île de Likskär et y restons durant trois jours en raison des forts vents. Malgré l'allure paradisiaque de ses plages de sable beige, un certain ennui s'installe. Nous n'avons plus le même goût pour les activités qui généralement occupent nos temps à terre. Leur saveur a perdu de son intérêt au profit d'une certaine impatience à attaquer les tâches qui nous attendent à Luleå. Alors le lundi 11 septembre, date d'arrivée convenue avec nos futurs hôtes, nous empoignons nos pagaies avec entrain.


Après avoir longé la zone industrielle portuaire, dominée par un menaçant nuage rougis par les particules de fer, nous sommes accueillis par les célèbres brise-glaces de la ville encore au repos. Frôlant les flancs du premier, je lève soudain la tête et m'extasie en y lisant ces 4 énormes lettres blanches « ATLE ». A Trelleborg nous avions retrouvé une amie, Laila, qui a été la première femme officier à opérer sur un brise-glace en Suède. Et c'était précisément sur l'ATLE. La deuxième surprise de ce trajet singulier fut une marche. Trente simple centimètres séparent le plan d'eau où nous nous trouvons et celui où nous devons nous rendre... Trente centimètres que la plupart des passants ne remarqueront jamais. Une hauteur moindre qui nous oblige néanmoins à décharger nos kayaks et à effectuer un ultime portage. Une hauteur signifiant que c'est ici précisément que nous quittons officiellement la mer Baltique. Quelques mètres plus loin un ruban rouge et blanc barrant le canal nous fait craindre d'être à nouveau bloqués. Heureusement, un travailleur sur la berge nous donne le feu vert et en passant au-dessus de la zone critique, en entendant des bruits inattendus venant du fond de l'eau, nous comprenons qu'il s'y trouve un plongeur. Les rires que nous échangeons Olivier et moi suite à cette situation rocambolesque trahi une certaine émotion et une tension liée aux questions qui nous habitent : comment allons-nous vivre les prochains mois dans un environnement urbain ? Comment allons-nous supporter les bruits, l'agitation et les ambiances qui en émanent ?

Non sans un certain soulagement, nous nous éloignons de la ville au fur et à mesure que nous nous rapprochons de chez Ragnhild et Lasse, nos hôtes. Et c'est après avoir défié le labyrinthe formé par la quantité inhabituelle de roseaux, que nous atteignons notre lieu d'accostage, à 800 mètres de la destination finale. Deux aller-retour pour porter nos kayaks et un trajet en voiture pour les bagages et nous voilà arrivés à bon port.
 
Ragnhild est la cousine d'Eva, une amie de Suisse. Voilà le lien qui relie notre voyage à cette petite maison en périphérie de Luleå. Ragnhild et son ami Lasse nous accueillent chez eux comme si nous faisions partie de la famille. Ils ne nous connaissaient pas mais nous offrent tout, belle leçon d'hospitalité. Nous logeons dans un premier temps dans leur chambre d'amis, lovée entre le sauna et l'atelier de céramique de Ragnhild, bâtiment annexe à l'atelier de menuiserie de Lasse. Car non seulement nous bénéficions d'un toit, mais également d'un atelier équipé de toutes les machines nécessaires au travail du bois, suffisamment grand pour y entreposer nos kayaks le temps des réparations ainsi que pour la construction des traîneaux. Comment aurions-nous pu seulement rêver d'une situation aussi ajustée à nos besoins ? Après deux semaines, nous déménageons dans la stuga prévue initialement, les travaux de rénovations étant terminés pour la saison. Depuis cette petite maison aux allures de roulottes, nous avons vue sur le potager et la grande serre qui garnis nos repas de couleurs encore estivales, alors que les températures passent aujourd'hui dans le négatif.


Aussitôt arrivés aussitôt nous attaquons les nettoyages, réparations et entretien de notre matériel afin de le remiser. Les kayaks et les pagaies ont comme pris un coup de jeune et s'en vont hiberner dans le grenier au-dessus de l'atelier. Sans plus attendre, Olivier couche sur papier les plans de nos traîneaux en bois, après avoir fait mûrir ses réflexions sous la coupe du temps, de ses observations, de ses recherches et connaissances. Et après quelques jours de travail assidu où la matière première se transforme grâce aux compétences tant manuelles qu'intellectuelles, nos traîneaux prennent forme. N'ayant connaissance de quiconque ayant fait pareil périple, à savoir tracter kayaks et matériel sur 570 km de neige, Olivier ne peut bénéficier d'expérience concrète et seule notre propre expérimentation permettra d'évaluer et d'ajuster la conception des montures. Fort heureusement, l'environnement dans lequel nous nous trouvons nous permettra de tester le matériel avant le départ pour la traversée des terres.

Dès notre arrivée nous avons également débuté notre entraînement physique. Car si c'est principalement à la force des bras que nous avons parcouru les 4628 kilomètres depuis Vevey, ce sont nos jambes qui vont être sollicitées pour la prochaine partie du voyage. A cet effet nous avons adopté une marche matinale, celle qui nous tire de nos songes et met radicalement fin à toute somnolence. A peine réveillés, nous sautons dans nos baskets, parcourons nos 6,7,8,9 puis 10 kilomètres, avant de rentrer dans la chaleur de la cuisine familiale et de débuter la suite de la journée.
 
Alors qu'Olivier scie, rabote, assemble et se recouvre heure après heure de sciure, je travailler sur mes rubriques du magazine Le Vagabond ainsi que sur les demandes de partenariat pour l'acquisition du matériel spécifique dont nous avons besoin l'année prochaine.

Nous pourrions imaginer qu'ainsi filent les jours, loin de la civilisation, retirés comme des moines fidèles et dévoués. Assidus à la tâche certes. Mais pas cloîtrés pour autant. Nous avons eu la visite de Heidi et Christophe, nos amis de Jättendal, venus partager quelques jours notre nouvelle réalité. Et puis nous avons été invités par Barbara et Nils, du village voisin, pour une soirée jeux. Dimanche passé, nous avons assisté à la première d'un spectacle de danse contemporaine dont le chorégraphe n'est autre que Fabian, le fils de notre proche voisine Kirstin. Pour peu, nous oublierions facilement que cela ne fait que moins d'un mois que nous avons débarqué... #Aline

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